Déontologie des réseaux

Libertés individuelles et collectives

Code du travail

La jurisprudence

L'avis de la CNIL

sur les "chartes"

Et l'Education dans tout ça ?


Code du travail

Rappelons d'abord la loi.

CODE DU TRAVAIL Article L120-2

(inséré par Loi nº 92-1446 du 31 décembre 1992 art. 25 I Journal Officiel du 1er janvier 1993)

Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

Cela signifie que, concernant l'usage de la messagerie ou du web à des fins personnelles sur le lieu de travail, tout devrait être en définitive une histoire de proportions. L'interdiction totale d'utilisation des moyens (par exemple téléphone, télécopieurs, internet, poste de travail informatique et même fournitures) à des fins privées est donc inapplicable dans la pratique.

Dans l'Education Nationale ceci est encore plus vrai puisque les enseignants utilisent abondamment téléphone, ordinateur, accès internet et fournitures, le tout payé de leurs deniers, lorsqu'il préparent leur travail ou corrigent leur copies à domicile.

Par ailleurs, les gouvernements successifs ont tenté à plusieurs reprises de promouvoir l'ouverture de l'école,  avec des projets de mise à disposition des installation à la population en dehors des heures de cours. Comment expliquer alors que les élèves et les personnels en soient exclus ? Le seul fait que cela soit "au temps du travail" comme dit la jurisprudence ne le justifie déjà pas dans une entreprise (voir l'affaire Nikon) alors dans un établissement scolaire, où le temps de travail est morcelé , encore moins.

La jurisprudence

99-42.942
Arrêt n° 4164 du 2 octobre 2001
Cour de cassation - Chambre sociale
Cassation
(extrait)

Vu l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'article 9 du Code civil, l'article 9 du nouveau Code de procédure civile et l'article L. 120-2 du Code du travail ;

Attendu que le salarié a droit, même au temps et au lieu de travail, au respect de l'intimité de sa vie privée ; que celle-ci implique en particulier le secret des correspondances ; que l'employeur ne peut dès lors sans violation de cette liberté fondamentale prendre connaissance des messages personnels émis par le salarié et reçus par lui grâce à un outil informatique mis à sa disposition pour son travail et ceci même au cas où l'employeur aurait interdit une utilisation non professionnelle de l'ordinateur ;

Attendu que pour décider que le licenciement de M. [...] était justifié par une faute grave, la cour d'appel a notamment retenu que le salarié avait entretenu pendant ses heures de travail une activité parallèle ; qu'elle s'est fondée pour établir ce comportement sur le contenu de messages émis et reçus par le salarié, que l'employeur avait découverts en consultant l'ordinateur mis à la disposition de M. [...] par la société et comportant un fichier intitulé "personnel" ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 mars 1999

 

L'avis de la CNIL

sur les "chartes"

La CNIL, dans son rapport relatif à la cybersurveillance sur les lieux de travail, traite également de cet aspect fondamental des libertés individuelles et collectives. Voici, en particuliers un cours extrait concernant les chartes d'usage.

Des entreprises de plus en plus nombreuses adoptent des "chartes d'information" précisant les
mesures de sécurité à prendre et les usages que les salariés peuvent faire des nouveaux outils
informatiques mis à leur disposition.
La Commission en soutient l'initiative lorsque ces "chartes" ou "guides des bons usages" se fixent
pour objectif d'assurer une parfaite information des utilisateurs, de sensibiliser les salariés ou les
agents publics aux exigences de sécurité, d'appeler leur attention sur certains comportements de
nature à porter atteinte à l'intérêt collectif de l'entreprise ou de l'administration.
Cependant, de telles "chartes", au statut juridique mal défini, peuvent manquer à l'objectif qu'elles
s'assignent lorsque, sans souci de pédagogie, elles cumulent les prohibitions de toutes sortes y
compris celles des usages généralement et socialement admis de la messagerie et du internet à des
fins privées
.

...

De la même façon, les salariés se trouvent le plus souvent contraints par ces chartes à n'utiliser le
courrier électronique qu'à des fins exclusivement professionnelles
, certaines sociétés, notamment
des filiales de groupes américains, précisant même que tout message électronique envoyé par un
salarié doit être considéré comme un "enregistrement permanent, écrit, pouvant à tout moment
être contrôlé et inspecté" (sic).
Cette manière de procéder réalise à coup sûr l'obligation d'information préalable. Mais en se
dispensant de la consultation du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, elle peut
méconnaître les dispositions du code de travail
.
Enfin, certaines des dispositions qu'elles peuvent
parfois comporter ne sont pas opposables au juge auquel revient, en dernière instance, le soin
d'exercer le contrôle de proportionnalité au regard du respect de la vie privée consacré par l'article
9 du code civil
.

Voir à ce sujet l'excellent article paru dans la revue Sociétés de l'information (n°16 page 6), page mise à disposition ici avec l'aimable autorisation de la directrice de la publication (O. Ambry).

Et l'Education dans tout ça ?

Le code du travail ne s'applique pas à la fonction publique. Ca peut étonner... C'est d'ailleurs pas évident de trouver les textes de références sur internet (j'ai manqué de temps). Mais quand on compare ce qu'il paraît (j'ai pas vérifié) que disent ces textes et ceux du code du travail il est clair que le fonctionnaire semble considéré en permanence comme un présumé délinquant.

En tout état de cause j'ai du mal à admettre que dans le milieu éducatif, un lieu de citoyenneté par excellence, on puisse se montrer plus rétrograde et plus restrictif dans ce domaine que la législation s'imposant à toute entreprise.

Ma réflexion vaut autant pour les élèves que pour les enseignants pour plusieurs raisons :

  1. Eux, au moins, ne sont pas régis par le code de la fonction publique.
  2. On prétend éduquer les jeunes à la citoyenneté. Est-ce bien raisonnable si on les décrète "sous-citoyens" d'emblée ?
  3. Comment justifier la différence entre élèves majeurs et enseignants ?
  4. Comment concilier un point de vue aussi rétrograde avec l'existence, des années avant internet, des "foyers socio-éducatifs" ou "maisons des lycéens". Ces derniers doivent-ils aussi n'être utilisés qu'à des fins jugées plus éducatives que d'autres (selon quels critères) ?
  5. Par ailleurs, qui peut juger aujourd'hui, de l'aspect éducatif ou pas de l'usage d'internet à des fins personnelles ? Est-ce moins formateur pour le futur citoyen que de lire, écouter de la musique, apprendre à lire un plan de métro, etc. ?
  6. Et pour le personnel ? Pourquoi un professeur qui a un trou dans son emploi du temps ne pourrait-il faire son courrier, surfer sur le web ? Quand il écrit une lettre dans la salle des professeur quelqu'un surveille-t-il s'il rédige du courrier personnel ou professionnel ?
  7. Un enseignant ou un élève qui fait des recherches personnelles pendant une heure de "trou" est-il plus choquant que s'il se met dans un coin pour lire un roman, une BD ou le journal ? Pourtant quel rapport avec son travail ?

Le vrai seul problème qui est d'ailleurs pris en compte dans l'article L120-2 du code du travail, est celui de la finalité des moyens mis en oeuvre sur le lieu de travail et donc de la gestion des ressources.


mailto:etienne.durup@free.fr

Dernière mise à jour : 04.12.2006