Extraits et commentaires concernant un
Jugement du Tribunal Correctionnel de Paris
du 02 novembre 2000

L'article 432-9 du code pénal

La qualification de correspondance privée

Sécurité et charte d'usage

Liens de référence


L'article 432-9 du code pénal

L'article 432-9 du code pénal incrimine le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public, agissant dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions ou de sa mission, d'ordonner, de commettre ou de faciliter, hors les cas prévus par la loi, le détournement, la suppression ou l'ouverture de correspondances ou la révélation du contenu de ces correspondances
...
La commission de cette infraction suppose, outre l'élément légal, la réunion d'un élément matériel et d'un élément intentionnel.
...
L'élément matériel est caractérisé au regard de la qualité de l'auteur de l'infraction, de l'objet de l'infraction, ou de la nature de l'objet protégé, et des actes délictueux incriminés.
...
- La personne désignée par le texte susvisé doit, d'une part, être dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public et, d'autre part, avoir agi dans l'exercice de ses fonctions.
En ce qui nous concerne, dans les établissements, l'élément matériel est constitué non seulement par la nature du courrier électronique pour ce qui est de l'objet mais aussi par le rôle d'administrateur réseau. A preuve l'analyse du tribunal ci-dessous :

... ils sont indéniablement chargés d'une mission de service public d'enseignement dans l'intérêt de la collectivité

(c'est aussi notre cas...)

De même il apparaît que les reproches qui leur sont faits concernent des actes qu'ils ont accomplis dans l'exercice de cette mission, puisqu'il leur est fait grief d'avoir mis à profit leur maîtrise du réseau informatique du laboratoire ... pour procéder à des investigations dans la messagerie électronique de [Xxxx]..., en commettant ainsi un abus de pouvoir.

Dés lors, les dispositions de l'article 432-9 du Code pénal leur sont applicables.

(à bon entendeur salut !)

En ce qui concerne l'élément intentionnel c'est encore plus facile :

Cette volonté est manifestée par le comportement de l'auteur du délit qui, ayant connaissance de ce que la correspondance litigieuse ne lui est pas destinée, s'en empare, ou s'informe de son contenu à l'insu de son destinataire.

Evidemment on pourra ergoter longtemps sur le "à l'insu de son destinataire" mais je vous conseille fortement de ne pas prendre de risque sur la base de l'interprétation que vous pourriez donner à ces 6 mots.

En effet, les affaires jugées depuis deux ans marquent nettement le fait que la jurisprudence comprend ces termes plutôt de la façon suivante : "sans le consentement de son destinataire".

La qualification de correspondance privée

Le message ainsi transmis revêt les caractéristiques suivantes :
- il est exclusivement destiné à une personne physique ou morale
- Il s'adresse à une personne individualisée, si son adresse est nominative, ou déterminée, si son adresse est fonctionnelle, le destinataire final du message n'étant pas précisé en ce cas, mais son récepteur ayant qualité pour recevoir le dit message.
- Il est personnalisé en ce qu'il établit une relation entre l'expéditeur et le récepteur, laquelle fait référence à l'existence d'un lien les unissant qui peut être familial, amical, professionnel, associatif, etc.....
Il en résulte que l'envoi de message électronique de personne à personne constitue de la correspondance privée.
Un point intéressant ici est qu'il n'y a pas de différence de traitement que la personne soit une personne physique ou une personne morale et par conséquent que l'adresse soit nominative ou fonctionnelle. En d'autres termes, un courrier adressé par un individu à une adresse telle que recteur@ac-etc.etc. est une correspondance privée.

Second point intéressant : la définition très large qui aboutit à la qualification de "message personnalisé".

Il importe peu, à cet égard que l'un des messages dont [Xxxx]... a été destinataire ait été ultérieurement publié dans la presse ou diffusé sur Internet dés lors qu'il lui avait été, au préalable, adressé personnellement, le caractère privé, et donc confidentiel, de cette correspondance résultant de ce mode d'envoi. Autre élément fondamental, l'ouverture d'une correspondance privée n'est en aucun cas justifiée par la publication de celle-ci a posteriori.

Sécurité et charte d'usage

Il [un prévenu - NDW] concluait qu'il était dans le rôle et les prérogatives d'un administrateur système de débloquer le fonctionnement d'un réseau informatique, ses responsabilités entraînant la prise de connaissance de messages destinés aux utilisateurs du réseau. Là se situe l'abus et le contresens fondamental. En effet voici ce que l'on relève dans les conclusions du tribunal :

... l'intention coupable est indépendante des mobiles auxquels l'auteur prétendrait avoir obéi.

- Le souci de la sécurité du système informatique du laboratoire ... que ..., .... et .... invoquent pour légitimer les interceptions qu'ils ont commises ou ordonnées n'est donc pas à l'origine de celles-ci et ne saurait les excuser

Les prévenus invoquent, au soutien de leur absence d'intention coupable, le fait que le comportement de [Xxxx]..., lequel utilisait abusivement, à des fins privées, la messagerie dont il disposait, au mépris des obligations mises à sa charge par la charte RENATER d'où il résulte que les utilisateurs du réseau s'obligent à un usage strictement professionnel -, constituait un cas de force majeure qui légitimait leur intervention dans la messagerie de l'intéressé, dans la mesure où son utilisation abusive du réseau du laboratoire ... mettait en cause la sécurité de son système informatique ... le tribunal relève à cet égard, que :

- la charte RENATER, à laquelle a adhéré le laboratoire ..., si elle prévoit que les utilisateurs du réseau qu'elle met à leur disposition doivent en faire un usage strictement professionnel, précise également que la consultation des fichiers ... d'un utilisateur par un autre doit être autorisée par le propriétaire de ces fichiers et que, de même, les administrateurs système ne peuvent, sauf exception tenant à la sécurité du réseau, intervenir dans ces fichiers sans l'autorisation de leur propriétaire. En outre, il y est mentionné que ces administrateurs s'interdisent, pour des raisons déontologiques, d'intervenir dans les messageries des étudiants.

...

- L'application de ce principe d'usage exclusif ne peut, en tout état de cause, justifier le fait que les administrateurs système du laboratoire et son directeur aient pris connaissance, à son insu, du courrier électronique de la partie civile, au motif qu'elle y contrevenait, fût-ce dans des proportions importantes, alors qu'il eut été aisé de lui rappeler les règles d'utilisation du réseau, en l'invitant à s'y conformer.

- Contrairement à ce qu'affirment les prévenus, la sécurité du système informatique du laboratoire ... n'était pas mise en cause lors de leur intervention dans la messagerie électronique de [Xxxx]...,

Liens de référence

On peut trouver ici le texte du jugement plus complet (2 novembre 2000) et ici celui du jugement en appel (17 décembre 2001) qui bien qu'ayant modifié certains aspects technique et allégés les peines du fait de circonstances atténuantes, a confirmé la culpabilité et tout de même renvoyé la partie civile à se pourvoir (en complément) devant le tribunal administratif.